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Désordre numérique, dites-vous?

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Avec l’avènement du numérique, les processus de travail ont changé considérablement. Au fil des ans, l’informatique s’est implantée dans toutes les sphères du travail. Pendant des années, les ordinateurs étaient en quelque sorte des « dactylos » intelligentes, utiles pour la conception, la mise en page et la correction, mais non pour la conservation, car l’espace mémoire des ordinateurs demeurait plutôt limité. Les documents étaient alors systématiquement imprimés.

Puis, la technologie a rapidement évolué : les outils informatiques sont devenus de plus en plus performants, permettant désormais de conserver de grandes quantités d’information. Du poste personnel, nous sommes également passés aux serveurs en réseau. Aujourd’hui, la communication d’informations se traduit par des échanges de données électroniques que chacun peut consulter, exploiter et conserver.

Et tout au long de cette évolution, les usagers ont été laissés à eux-mêmes. Pas de directives de classement ni de nommage des fichiers. Chacun classe et nomme ses fichiers à sa façon sur son poste de travail. Avec l’arrivée des réseaux et des serveurs, la plupart du temps le classement se limite à une structure très sommaire ou encore à la création d’un dossier au nom de l’usager. On se contente d’y placer ses documents et fichiers où bon nous semble. Le problème étant la difficulté de retrouver l’information : tout dépend de la personne, le même document ne sera pas nécessairement classé au même endroit.

De temps à autre, quelqu’un décide de « faire du ménage » sur le serveur et essaie de faire une structure de classification, mais dans la majorité des cas, cela n’aboutit pas. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de consensus pour cette nouvelle structure de classification ; parce que les usagers ne comprennent pas la nouvelle structure et continuent de classer les fichiers à leur façon ; parce que l’ampleur de la tâche est colossale et que le « bon samaritain » se décourage et abandonne. On se retrouve alors avec 2, voire 3 structures de classification ! Bien entendu, cela n’aide pas au repérage des fichiers… Souvent, les utilisateurs commencent alors à conserver leurs fichiers sur leur poste de travail (le « C »), rendant ainsi l’information impossible à trouver pour les autres usagers.

La masse des documents numériques augmente d’année en année, et sans gestion normalisée (au même titre que les documents papier), le désordre numérique peut atteindre une telle ampleur qu’une organisation peut avoir de la difficulté à fonctionner efficacement. L’information nécessaire à la prise de décision devenant difficile, sinon impossible, à trouver fait en sorte que la prise de décision devient hasardeuse. Il y a un risque de se retrouver avec une interruption dans les archives organisationnelles de même qu’une diminution de la protection des intérêts juridiques, financiers et administratifs de l’organisme. Un document numérique qui n’a pas été conservé ou qui a été mal conservé (de sorte qu’on ne peut en garantir l’intégrité) et un document définitivement perdu peuvent être au grave détriment de l’organisation.

Un sondage réalisé par Xerox Canada et Léger Marketing en 2007 révélait que 71 % des PME canadiennes étaient préoccupées par la perte de documents électroniques et que 66 % d’entre elles n’avaient aucun système de gestion documentaire pour ces documents. De plus, ce sondage nous apprenait que 3 % des entreprises consacraient plus de 10 heures chaque semaine à la recherche de documents, alors que 19 % ne pouvaient pas évaluer l’effort requis pour retrouver leur information. Ce sont là des chiffres révélateurs n’est-ce pas ? Il y a fort à parier que 10 ans plus tard, les choses ne se sont pas beaucoup améliorées…

La notion d’archivage ou de gestion des documents numériques est pratiquement absente de la culture organisationnelle. On se pose rarement les questions de la pertinence d’archiver certains documents numériques ou encore de la durée de conservation d’un fichier ou d’un courriel. Pourtant, les documents numériques contribuent à la constitution de la mémoire institutionnelle. Ce sont des archives, tout comme « l’ensemble des documents, quelle que soit leur date ou leur nature, produits ou reçus par une personne ou un organisme pour ses besoins ou l’exercice de ses activités et conservés pour leur valeur d’information générale. » (Loi sur les archives, L.R.Q., chapitre A-21.1, art. 2).

Le papier a primé pendant des millénaires. On le voit, on le touche, on le classe, on le jette, on le conserve. L’information sur l’écran on la voit, mais on ne peut la toucher, on ne sait pas où elle est vraiment, on n’est pas toujours sûr de la trouver.

Malheureusement, les usagers ne réalisent pas toujours qu’un ordinateur (ou un serveur), c’est comme un classeur. Le classeur a un nombre limité de tiroirs où il devient impossible d’ajouter des dossiers. Eh bien, c’est la même chose pour l’informatique : l’espace mémoire fait office de tiroir. Le hic, c’est qu’on ne voit pas réellement l’espace mémoire. Pour le commun des mortels, il est difficile de déterminer à combien de tiroirs ou de classeurs peut correspondre 1 téraoctet, par exemple. La fausse idée de l’espace informatique illimitée persiste jusqu’au jour où les informaticiens nous informent que les espaces disques sont saturés et que l’achat d’un nouveau disque n’est pas une option. Il faut donc « faire du ménage ». Alors c’est la panique !

Et pourtant ! Il n’a été question ici que de l’espace utilisé. Qu’en est-il de la sécurité, de l’intégrité, de la pérennité, de la protection des renseignements personnels, de la confidentialité? Et les courriels ? Les photographies ? Les vidéos? Les documents numérisés ?

La gestion des documents numériques est aussi essentielle pour une organisation que la gestion des documents papier. Peut-être même plus, si votre entreprise est plus numérique que papier.

En terminant, si on transpose le désordre numérique au papier, c’est à cela que ça ressemblerait :


Et croyez-moi, c’est à peine exagéré !

Par Manon Leclerc, conseillère en gestion documentaire

Publié le octobre 15, 2018