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Concours d’histoire Raymond-Labonté : L’affaire Joseph Maltais

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En tant que partenaire promotionnel du Concours d’histoire Raymond-Labonté, la Société d’histoire et de généalogie Maria-Chapdelaine publie les 6 textes gagnants de l’édition 2018-2019 du concours sur son blogue. Le concours Raymond-Labonté « se préoccupe de la connaissance de l’histoire et de la condition politique, économique et sociale chez les jeunes1 ». Cette année, les participants devaient composer un texte sur le thème de « la justice au Saguenay-Lac-Saint-Jean ». La sixième rédaction présentée a été rédigée par Solveig Beaupuy, étudiante au Cégep de Jonquière, gagnante du 1er prix au niveau collégial.

 

Voiture de police de la ville de Mistassini en 1991. Source : SHGMC, P239 Fonds Journal Le Point

 

L’affaire Joseph Maltais

Contexte

Extrait du Petit Saguenéen du 27 janvier 1905

Meurtre à Saint-Fulgence : l’accusé, Joseph Maltais, reconnu non coupable

Le 4 avril 1904, dans le petit village de Saint-Fulgence, Joseph Laforest était retrouvé mort chez lui, à la suite d’une hémorragie cérébrale selon les médecins. Son voisin, Joseph Maltais, a été mis en cause pour l’avoir frappé à la tête avec une pelle ou son poing (ses déclarations divergent), quelques heures avant sa mort. Un mandat d’arrêt a été émis à son encontre par le coroner Boily, et le lendemain, Maltais était conduit à la prison de Chicoutimi. Il décide alors de se faire représenter par M. Louis-de-Gonzague Belley, avocat et conseiller municipal à Chicoutimi.

Un procès entre Joseph Maltais et la Couronne

Une enquête préliminaire a établi les faits et a prouvé dans un premier temps que Maltais est coupable du meurtre de Joseph Laforest. En attendant le procès officiel, Maltais a été libéré sous caution pour la somme de 11 000 dollars. Le procès s’est déroulé le 23 janvier 1905 aux Assises criminelles de Chicoutimi, et a duré trois jours. Grâce à un plaidoyer de son avocat magnifiquement mené, Joseph Maltais a été reconnu non coupable du meurtre de Joseph Laforest, et ce, malgré des preuves qui semblaient irréfutables.

Un vieux litige

Maltais et Laforest étaient en désaccord concernant une lisière de terrain à la suite d’un changement de route, l’un prétextant qu’elle lui appartenait et inversement. Un bail verbal avait été établi entre les deux voisins. Ce dernier sous-entendait la location du terrain au défunt pour la somme de cinq piastres par année. Le matin du 4 avril, vers 7 heures, un témoin affirme avoir vu Joseph Laforest parler avec emportement à quelqu’un en faisant tournoyer une faux au-dessus de sa tête, « peut-être Maltais ». La dispute serait due au fait que Maltais et son jeune fils se trouvaient sur ledit terrain sans la permission de Laforest, pour transporter du fumier. Plus tard dans l’après-midi, Laforest est revenu à l’assaut. C’est à ce moment que le drame eut lieu.

Joseph Laforest, un fou ?  

Le vieil homme de 69 ans affirmait être tourmenté par des âmes et se battre avec les morts. Des témoins confient avoir entendu des cris provenant de sa maison en plein milieu de la nuit. Il aurait même menacé de tuer son frère, Célestin Laforest, et il entretenait une haine certaine pour Joseph Maltais. Ce dernier affirme que son voisin aurait essayé de l’embrocher avec une fourche alors qu’il charriait le fumier. Il se serait alors défendu en lui assénant un coup de pelle ou de poing sur la tête.

Une fracture du crâne

Avec l’aide d’un autre voisin, Ernest Tremblay, il aurait alors transporté Joseph Laforest, inconscient, jusqu’à chez lui, et l’aurait assis sur une chaise, à proximité du poêle. Ernest Tremblay est aussi le fils adoptif de Célestin Laforest. Quelques heures après, Laforest a été découvert à terre, une enflure à la tête de la grosseur d’un œuf, et du sang qui lui coulait des oreilles et du nez. Le corps avait été déplacé chez la sœur du défunt et avait été examiné par les docteurs Riverin et Savard. En ouvrant le cuir chevelu, ils ont diagnostiqué une fracture du crâne, et ont estimé qu’elle avait pu être causée par le coup porté par Maltais. Malgré tout, après trois jours de procès, l’accusé Joseph Maltais a été acquitté.

Voici le rapport de l’enquête préliminaire qui conduira Joseph Maltais aux Assises criminelles de Chicoutimi. Elle présente les jurés qui ont déterminé la culpabilité de Maltais et leur sentence : « Joseph Laforêt, fils d’Emmanuel est mort des suites d’un coup de poing… par Joseph Maltais, fils de… ». Source : BAnQ

 

Louis-de-Gonzague Belley :
comment s’y est-il pris pour faire acquitter Joseph Maltais du meurtre de Joseph Laforest ?

Le village de Saint-Fulgence se trouve à dix milles de Chicoutimi et compte une population de 1200 personnes à l’époque des faits (Le Progrès du Saguenay, n° 34, 1904). Cette histoire a eu un grand retentissement dans la région, car c’était la première fois qu’au Saguenay–Lac-Saint-Jean, un meurtre était commis (Le Progrès du Saguenay, n° 34, 1904). Elle a d’ailleurs été relayée par des journaux provinciaux comme le Progrès du Saguenay, mais également dans des journaux extérieurs à la province, comme l’Étoile du Nord, La Presse ou Quebec chronicle.

Dans « le drame sanglant » de Saint-Fulgence (La Presse, n° 68, 1905), Joseph Maltais a donc évité le pire grâce à son avocat Louis-de-Gonzague Belley et ses talents d’orateur. Qui est-il ? Comment s’y est-il pris pour faire acquitter son client ? Ici, on se concentrera davantage sur le personnage de L.-G. Belley et sur ses capacités d’orateur plutôt que sur l’affaire de meurtre qui le rendra connu de tous.

Il est né le 3 février 1863 à Saint-Alexis-de-la-Grande-Baie. Il était le fils d’un fermier qui était l’un des pionniers de la colonisation au Saguenay (Saguenayensia, 1961). Il fait ses études au Séminaire de Chicoutimi, puis entreprend des études de droit à l’Université Laval. Il est admis au barreau en 1887 et est élu conseiller municipal à Chicoutimi en 1891, et de 1901 à 1907. En 1907, il deviendra maire de Chicoutimi, et ce jusqu’en 1908. C’est en exerçant et sa profession de conseiller municipal et sa profession d’avocat qu’il va être amené à défendre la cause de Joseph Maltais en 1904.

Honoré de Balzac a écrit : « La gloire d’un bon avocat consiste à gagner de mauvais procès ». Un mauvais procès pourrait-il être un procès qui semble « perdu d’avance » parce que la cause est jugée indéfendable ou immorale ? En ce cas, c’est sûrement grâce à ce procès que L.-G. Belley s’est imposé comme l’un des meilleurs avocats et orateurs de son temps. Lors de son plaidoyer devant les Assises criminelles de Chicoutimi, il arrive subtilement à retourner la situation, à inverser les rôles, et à faire passer l’acte de Joseph Maltais pour de la légitime défense malgré les témoignages à son encontre. Ulysse, son fils de 13 ans qui l’accompagnait lorsque le drame s’est produit, a déclaré : « Le vieux a hâté le pas pour prendre la fourche. Il ne l’a pas prise. Il n’y a pas touché non plus. Il n’a pas eu le temps d’y toucher, papa l’a frappé mais je ne peux pas dire avec quoi » (La Presse, n° 68, 1905). Ce qui suggère que le coup porté par Maltais à Laforest n’était pas nécessaire. Le plaidoyer a d’ailleurs été retranscrit en 1905 par les imprimeries G. Delisle parce que le procès « a eu tant de retentissement » (G. Delisle, 1905). Pour la première fois dans l’histoire du Saguenay depuis la colonisation, un meurtre a été commis, et grâce à L.-G. Belley, le présumé meurtrier a été acquitté et a ainsi évité la peine de mort. Je vous propose d’examiner quelques-unes de ses méthodes.

Tout d’abord, L.-G. Belley joue sur la filiation de Joseph Maltais, « fils d’un des premiers colons du Saguenay » (G. Delisle, 1905). Il rappelle le courage de ces premiers colons et le respect auquel ils ont droit. Considérer Maltais comme un meurtrier serait alors souiller leur nom, leur faire déshonneur, ternir leur mémoire : « Le verdict que vous rendrez, par conséquent, n’affectera pas seulement un homme, mais il couvrira toute une contrée, jettera l’humiliation ou la joie sur un nom intimement lié à la colonisation du Saguenay » (G. Delisle, 1905).

Ensuite, il joue la corde sensible de la religion en citant l’un des dix Commandements de Dieu : « Tu ne tueras point », et soutient aux jurés qu’ils peuvent eux-mêmes devenir des meurtriers s’ils envoient un innocent à la potence : « Les jurés peuvent devenir, dans ce cas, de vulgaires meurtriers, des tueurs d’hommes » (G. Delisle, 1905). La religion étant très présente à cette époque, on peut considérer que ce raisonnement était un argument de taille.

Lors de son plaidoyer, L.-G. Belley met aussi l’accent sur la haine et la folie qui avaient pris possession de Joseph Laforest depuis quelque temps. Il rappelle que Laforest avait essayé de tuer son frère Célestin quelques jours auparavant. Il suggère aux jurés que, lorsqu’au matin du 4 avril 1904 Laforest se retrouve face à Maltais une faux à la main, c’était dans l’intention de lui nuire : « Pourquoi est-il retourné […] chercher cette faux ? Pour faucher ? nous étions en hiver. […] La réponse est toute trouvée ; pour s’en servir comme d’une arme » (G. Delisle, 1905). Pour expliquer le geste de Maltais, L.-G. Belley soutient la thèse de la légitime défense, la lassitude de se faire menacer en tout temps, la crainte pour sa vie et celle de sa famille. Il fait passer Joseph Laforest pour un fou dangereux, capable du pire et affirme qu’il n’y a qu’une seule solution : « Si l’autorité ne défend pas le public, il ne reste plus aux individus qu’un seul moyen, celui de se défendre eux-mêmes » (G. Delisle, 1905.) L’avocat joue sur le sentiment de culpabilité que ressent son client, mais aussi sur l’intégrité dont il a fait preuve en se rendant de lui-même au bureau du coroner après le mandat d’arrêt déposé à son encontre.

Enfin, L.-G. Belley insinue qu’un coup de pelle ou de poing peut être la cause d’une fracture du crâne, mais que les médecins ne peuvent pas jurer que cela est effectivement la cause de la mort de Laforest, surtout en prenant en compte que le décès est survenu quatre à cinq heures après le coup, et qu’il avait été retrouvé à terre et non plus sur la chaise où il avait été laissé (G. Delisle, 1905). Le défendeur joue ainsi sur le fait que Joseph Laforest aurait pu lui-même se fracturer le crâne en tombant contre son poêle ou en se cognant la tête par terre.

Ces méthodes, qui semblent anodines séparément, deviennent alors une accumulation de circonstances avantageuses pour la cause de Joseph Maltais. Louis-de-Gonzague Belley défait toutes les théories et les preuves une par une, consciencieusement, afin d’insinuer un doute dans l’esprit des jurés qui se sentiront coupables si jamais un innocent est condamné par leur jugement. Voltaire disait « Qu’il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent » (Voltaire, 1747). C’est ce qu’ont choisi de faire les jurés, décider que la mort de Joseph Laforest était un malheureux accident, et qu’il n’était pas prémédité. Jérôme Gagnon, dans la revue Saguenayensia, qualifie L.-G. Belley de « tribun combatif et hargneux » qui « est sans aucun doute l’orateur par excellence au Saguenay » (Saguenayensia, 2001), ce qui résume bien qui est Louis-de-Gonzague Belley, et comment il est considéré par ses pairs.

 

Par Solveig Beaupuy, 1er prix niveau collégial

 


1 Concours d’histoire Raymond-Labonté, 2019 [en ligne].

Bibliographie

DESGAGNÉ, R., abbé (1961). « Orateurs saguenéens », dans Saguenayensia, 3, n° 2, Société historique du Saguenay, pages 39-41.
LA PRESSE, dépêche spéciale (1905, 23 janvier). « Jos. Maltais aux assises », dans La Presse, n° 68, pages 1 et 10 [en ligne].
S.N. (1904, 14 avril). « Encore une accusation de meurtre », dans L’Étoile du Nord, n° 37, page 2 [en ligne].
LA PRESSE, dépêche spéciale (1905, 25 janvier). « Les aveux de Maltais », dans La Presse, n° 70, pages 1 et 9 [en ligne].
S.N. (1904, 6 avril). « Fatal quarrel near Chicoutimi », dans Quebec Chronicle, page 1 [en ligne].
GAGNON, J. (2001). « La scandaleuse affaire Belley-Labrecque », dans Saguenayensia, vol.43, n° 3, Société historique du Saguenay, page 3.
BELLEY, L.-G. (1905). L’affaire Maltais. Plaidoyer de Mtr. L.-G. Belley avocat au barreau de Chicoutimi en faveur de Joseph Maltais accusé du meurtre de Joseph Laforest, Chicoutimi, Imp. G. Delisle, 27 pages.
S.N. (1904, 14 avril). « La Tragédie de Saint-Fulgence », dans Le Progrès du Saguenay, n° 35, page 1. [en ligne].
S.N. (1904, 7 avril). « Le drame de Saint-Fulgence », dans Le Progrès du Saguenay, n° 34, page 1. [en ligne].
S.N. (1905). Le Roi vs Joseph Maltais, le meurtre de Joseph Laforêt, dossier judiciaire. BAnQ, Saguenay.
VOLTAIRE (1747). Zadig ou la destinée, histoire orientale. Blackmask Online, [ebooks], page 11. [en ligne]. 

Publié le octobre 11, 2019